lundi 23 mars 2009

L’Amérique des écrivains crève-la-faim

A l’occasion de la sortie de Fuck America d’Edgar Hilsenrath, je vous propose de faire un voyage dans le XXème siècle sur les traces de l’écrivain crève-la-faim des Etats-Unis. A travers quatre romans emblématiques. Et mes conjectures plus ou moins fumeuses.

You can't win (1926), Fuck America (1980), Sur la Route (1957) et Demande à la poussière (1939)…

De Jack Black à Jakob Bronsky, en passant par Arturo Bandini, le célèbre auteur du petit chien qui riait – ça, c’est une nouvelle – le rêve américain avait vécu quasiment avant de naître.


You can’t win : la voix de la prophétie(1926)


Jack Black n’est pas à proprement parler un écrivain, on sait peut de chose de lui si ce n’est que ce livre serait son autobiographie. Son témoignage de repenti. Plus tard décliné par une flopée d’artistes –et même Johnny Halliday, qui l’eût cru ?, devant les portes de pénitencier. Excluons donc la dimension morale de l’œuvre de Jack Black. Pour s’attaquer à la surface : Jack Black est le prototype du voyou comme on se l’imaginera pendant une bonne moitié du XXème siècle (rappelez-vous les 400 coups de Truffault…). Un bon petit garçon qui tourne mal. Un bon petit garçon qui doit apprendre à se débrouiller seul et qui cherche à vivre sa vie, qui rêve d'idépendance et de voyages. De valises en cuir tamponnées de cartes postales. De grands impers grisâtres. Et pour cela il est prêt à tout et encore plus à s’éviter l’adolescence, entrer dans les combines d’escrocs, partager un feu de camp avec des « Okies » : vivre la vie de hobo.
C’est en vivant chichement de rapines diverses, en comptant ses sous, les claquant le reste du temps, en jeu, alcool, putes que sa vie s’égrène. Rythment sa vie des préoccupations essentielles, trouver de l’argent pour manger, se vêtir. Sa journée commence toujours par un état des lieux de sa monnaie en poche.
Jack Black n’est pas un écrivain, c’est le témoin. Celui qui dit : ne faites pas ce que j’ai fait. Celui qui revient de l’enfer, avant d’y disparaître à nouveau – il se serait suicidé en 1932. Celui qui, pourtant, n’aurait jamais pu s’écouter.

Yegg (titre français), ed. Fondeur de briques, 2007




Bandini : la naissance du mythe (1939)

Si Jack Black est le témoin, l’annonciateur, avec un son côté ange Gabriel, alors Arturo Bandini, l’alter-ego de John Fante, est le Messie. Celui par qui tout arrive. Moins voyageur que son prédécesseur, Bandini ne porte pas moins en lui cette dimension du voyage, en tant que fils d’immigrant italien. Bandini partage avec Black d'avoir quitter le foyer tôt, de ne pas s'y être bien senti et de l’aimer pourtant.
Il s’échoue à Los Angeles, en tant que sédentaire (dernier rush vers l'Ouest où la vie est toujours plus belle). Vit lui aussi dans la misère. Mais gagne son argent différemment, il roule lui aussi son monde. Sa logeuse, ses voisins, son éditeur le grand Hackmuth !.
Et il y a toujours cette obsession, qui revient sans cesse, combien me reste-t-il en poche aujourd’hui ? Combien de temps je peux tenir avec ça, théoriquement ? Combien de temps je tiendrai en pratique ? Jusqu’à ce que la gloire, car elle arrivera forcément un jour - elle ne peut qu’arriver au génie qui a écrit Le Petit Chien Qui Riait ! – me tire de la misère. Car Bandini, c’est avant tout un grand auteur pas encore découvert… Tour à tour exécrable, insultant, roublard, sans pour autant attaquer la couche profondément honnête du personnage, sa façon attachante de se sacrifier à ceux qui l’aiment, renonçant ainsi à ses objectifs, contre toute attente. Celui que Fante aurait aimé être sans doute, s’il n’avait cédé aux grasses sirènes d’Hollywood…

Demande à la poussière, ed. 10 :18




Sur la route : le voyage initiatique (1957)


Jack Black inspira le Junky de Burroughs, John Fante sera érigé en maître incontesté par Bukowski, c’est toute la Beat Generation qui porte l’empreinte de l’écrivain crève-la-faim.

Ainsi Jack Kerouac, dans Sur la Route, est lui aussi cet écrivain voyageur sans-le-sou. Contrairement à ses prédécesseurs, Sal Paradise se vouait à une existence plutôt sédentaire, minable mais heureuse. Sal se laisse entraîner par un démon, vers l’aventure : Dean Moriarty. Abandonnant ainsi temporairement le confort matériel du foyer familial.

Lui et son compère sillonne l’Amérique apparemment sans but et pourtant à la recherche d’un je-ne-sais quoi, attrapant les auto-stoppeurs pour qu’ils leur paient l’essence. Sous la houlette écrasante de Dean. Personnage qui pèse de tout son poids, de son emprise sur Sal, l’enjoignant presque à se sacrifier pour son bon plaisir.
C’est toute l’irresponsabilité de cet homme fou lancée au visage de Sal, et que pourtant il aime, qui constitue son parcours initiatique. Kerouac/Sal écrit ce livre, là encore, comme témoin. Il écrit pour expier l’ultime erreur de Sal. Ce choix de bon sens. Celui d’abandonner Dean. Alors qu’il était son unique ancrage dans la vie réelle.


Sur la route, Jack Kerouac, ed. Folio




Fuck America : l’héritier de Fante (1980)

Edgar Hilsenrath/Jakob Bronsky partage avec Bandini sa condition d’émigrant – Edgar Hilsenrath à la différence de Fante écrit en allemand. Il partage avec lui l’inconstance. Mais plus roublard, bien que plus stable, moins dominé par ses émotions, il voit l’Amérique telle quelle est dans les années 50. Et surtout New-York. Manhattan même. Le sas où on retient la merde, pour éviter qu'elle ne gâte le reste du territoire et l’American Dream. Celui où l’on enferme le peste venue d’Europe : le malheur. Le malheur, le désespoir, l’horreur, tout ça.
Tous ces concepts que sa mémoire a refoulés et dans lesquels il évolue au jour le jour. Rejeté par tous, sans pour autant en ressentir une frustration immense. Il demande une place qu’on ne lui accorde pas. Une vie, peinard, avec une femme, et un peu d’argent. Sans travailler si possible. Celui qui revient de l’enfer se contenterait de peu…

Merci aux jeunes éditions Attila pour la traduction en français.

Fuck America !
, ed. Attila, 2009

1 commentaire:

  1. Teuh, l'autre et Bravissimo! Merci pour ces Hobbos si beaux, et bel et bien bons. Faudra illico parler des Editions Gallmeister chantre de Nature Novel et des errants qui les accompagnent...
    Sinon, dans le genre, un français (si si !) avait écrit l'an dernier un truc barré sur des bras cassés, sorte de pieds nickelés indiens, qui tentent de ressusciter la pêche à la baleine dans le trou perdu de leur réserve sur la côte pacifique (version froide, au nord des states : "l'hiver indien" chez Grasset.

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