lundi 14 septembre 2009

La grippe Bolaño




Ai passé tout l'été cloué dans un autre monde. La fièvre ne faiblit pas.
Un long délire, une longue maladie et comme chacun sait la maladie n'est sublime que dans sa conclusion, qui est la mort.
Au bout du voyage, me reste les personnages.

De Garcia Madero, héros adolescent des Détectives Sauvages, à la naïveté désarmante, ses certitudes, son inadaptation au monde adulte (comment les adultes peuvent-ils faire ce genre de chose : tomber dans la dépression, comment les poètes peuvent-ils être poètes si ils ne connaissent pas les règles de la poésie ?). Où l'initiation d'un jeune homme sur sa rampe de lancement rectiligne vers un diplôme (le couronnement de l'ensemble des règles que constitue la société, l'incubateur du bon adulte) se grippe, où tout dérape malgré lui, et où pourtant, Garcia Madero reste droit dans ses pompes, prêt à épouser la première fille avec qui il couche, prêt à faire de même avec les suivantes. Le jeune homme reste niais, et la niaiserie soulage car elle sécurise son monde.
D'Arturo Belano, qui traîne dans son sillage un fumet d'espoirs déçus, d'inflexibilité (de cette inflexibilité qui lasse), jusqu'au boutiste, effacé, jamais sympathique, écrasant, et pourtant brillant. Mais dans ses errances, pas de repos, une recherche d'un je-ne-sais-quoi qui refuse à se laisser trouver (Amérique latine, Europe, Afrique... mais autre part c'eût été la même conclusion). La conclusion c'est qu'il n'y en a pas et que seule la mort viendra clore le tout, apposer son cachet, et reléguer l'affaire de sa vie dans les limbes de l'oubli.
D'Ulises Lima, liquide parmi les rocs, sensible parmi les sensibles, mystérieux, nébuleux, masochiste, pathologique, pathétique, amoureux, blessé, puis encore blessé, et encore, fauché mille fois par des poignards qui ruissellent encore de son eau et le font saigner. Toujours refuser le combat, écarter toute victoire, étranger au concept. Bien plus inadapté encore que Belano. Lyrique, brouillon, incompréhensible mais dont l'œil ouvert est une porte vers les souffrances de l'homme, les souffrances et l'empathie. De la lecture d'Ulises Lima, on ne sort pas indemne. On lui quémande la mort qui elle-même semble l'ignorer, fermez ces paupières qui ne sont rien que des trous béants vers quoi... vers où je n'ose regarder.
Des dizaines d'autres qui meurent, qui sont guéris (parce qu'ils meurent) (ou qui sont morts pour guérir).
De Santa Teresa, la ville cannibale, qui a organisé les hommes pour en faire des gouffres, pour y faire disparaître les femmes, où se crée l'antivie (qui est différente de la mort).
Des critiques qui y cherchent la vérité, un sens à la vie dans la ville de la mort, un sens à l'amour qu'ils portent en eux dans la ville où l'on tue les femmes, un sens à l'œuvre qui les y a conduits.
Des universitaires qui se demandent ce qu'il y font, qui viennent y mourir, abandonnés par leurs femmes, pour y chercher une vengeance par procuration ?
Des journalistes/des avocats qui y tombent amoureux des prisonniers condamnés à mort (qu'il s'agisse de prisonniers réels emprisonnés coupables et non coupables, ou de prisonniers dans le couloir de la mort : ces femmes qui arpentent les rues chaque jour, et seront peut-être mortes demain).
Des femmes fauchées, inlassablement, avec la précision d'une horloge.
De la police en suspension, à qui tout échappe.
D'Archimboldi et de Reiter, qui sont des simplets adulés.

J'ai une saleté de fièvre, croyez-moi, et j'erre dans un tunnel sans sortie. Sans lumière au bout. Mais les parois sont nervurées de filons de métaux précieux, qui se reflètent à la lumière de ma frontale. Au bout du tunnel, qui n'a peut-être pas de bout, j'écrirai ces marques, Bolaño, été 2009, et quelque chose qui ressemblera à "merci".