mercredi 1 avril 2009

Disloque-moi et cache-moi derrière le radiateur ensuite (merci).


Après une longue demi-journée passée à fuir, pêle-mêle, (1) une dette qu’il ne pourra pas rembourser (2) son appartement saccagé (3) des hommes qui veulent le tabasser (4) une vie qui commence à prendre des tournures de ratage complet, Pawel s’offre un bon massage dans les mains expertes d’une jeune fille en fleur, un rien bovine, orientée chakra et légumes bio. Résultat : un bon fantasme de dislocation corporelle, et le resurgissement d’un instinct d’autruche. (Notez que les trous dans le sable peuvent être remplacés par un bon envers de radiateur) :



– C’est une huile essentielle, dit-elle

Elle s’en enduisit les mains, puis fit couler un mince filet sur son dos. Il eut une subite sensation de froid, mais dès que le liquide s’étala, il cessa d’y penser. Elle commença par les flancs qu’elle malaxait avec une belle énergie, presque brutalement. Ses ongles étaient coupés court. Ses mains descendaient jusqu’aux fesses, puis remontaient. Elle triturait ses chairs entre ses doigts, comme si elle avait eu affaire à un tissu très épais ou à l’enveloppe élastique d’un mannequin en caoutchouc. Une douce tiédeur commença à l’envahir ; il avait la sensation de n’être plus qu’un être inanimé, une chose. Le sentiment de sécurité ressurgit en lui, sauf qu’il avait, cette fois-ci, l’odeur de la sueur de cette fille. Elle n’utilisait pas de déodorant. Il ferma les yeux et blottit son visage dans le creux de son bras replié.

So far so good. Un massage, en somme, sauf que ça dérape (glisse ?).

Suite.



Il s’imaginait que la fille lui arrachait la chair par poignées entières, qu’elle en formait des boulettes, des petits cubes, toutes sortes d’objets informes, puis qu’elle dispersait tout cela dans l’appartement, collants ces bouts de chair sous l’évier de la cuisine, derrière le radiateur et sous l’appui de la fenêtre où, avec le temps, la poussière enroberait cette espèce de pâte à modeler, avant de l’engloutir pour de bon. Et, là, personne, vraiment personne, ne viendrait plus le chercher. Le traitement qu’elle lui infligeait était indolore.

Et ainsi de suite, elle lui arrache les poumons, déchiquette ses chairs, mais tout va bien, puisque c’est indolore. Tout va bien, car tout va mal, et que, ce faisant, elle lui rend service. Non pas qu’elle ne fasse que le tuer. Ce serait trop simple, non, son corps serait toujours là, son corps sans vie, inanimé, à la merci de ceux qui le recherchent, son corps qu’on pourrait voir, dans lequel on pourrait ficher des coups de pieds, qu’on pourrait humilier encore. Non, elle le cache, elle le masse et elle le fait disparaître, elle en fait des petits bouts. Des petits bouts que personne ne reconnaîtra, que personne ne viendra humilier en pensant : « c’est ce fils de pute de Pawel qui nous doit des thunes. »

Le rêve postcommuniste du varsovien a vécu ; il se l’est acheté à crédit. Un parmi tant d'autres.


Neuf – Andrzej Stasiuk – Christian Bourgois éditeur – 25 €




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